“Refusant la blancheur et la régularité de la porcelaine, Johan Creten aime les céramiques dans lesquelles l’homme se confronte avec les forces de la nature. Le montage au colombin, la cuisson au bois et les effets aléatoires des surfaces sont autant d’éléments dans lesquels le potier exprime à la fois sa soumission aux éléments et leur domination. Les grès japonais brutalisés par les flammes dissimulent leur beauté au-delà de leur apparence et la dévoilent au terme d’un savant cheminement.
La céramique japonaise, l’une des plus anciennes cultures céramiques au monde (il y a environ 15 000 ans), a été façonnée par les mains d’hommes et de femmes vivant en symbiose avec la nature, soumis à ses dangereux aléas qui, dans cette région du monde, ont souvent de funestes conséquences. Ils ont imaginé un riche vocabulaire stylistique, pour concevoir figurines et récipients aux gravures profondes et aux motifs en relief, cuits à basse température (époque Jômon vers -13600 à – 500 avant notre ère).
Cependant, au Moyen Âge (XIIe siècle), se dessinent les spécificités d’une culture céramique unique, marquée par la domination de l’art du grès. Les jarres reflètent alors les développements agricoles et économiques. Elles trouvent leur place dans les cuisines et les campagnes. Pouvant contenir du grain ou de l’eau, la jarre à large ouverture (kamé) provenant des fours de Tokonamé (XIIIe siècle) a été montée au colombin dans une argile très riche en fer et permettant une cuisson à température relativement peu élevée dans un four à bois construit à flanc de colline (anagama). Les cendres mêlées à des éclats de la voûte du four lui confèrent un aspect singulier et sculptural.
Les potiers des grands fours médiévaux (XIIe-XVe siècle) ont souvent limité leurs interventions décoratives, gravures ou impressions : ils ont préféré laisser la nature jouer ce rôle. Les cendres de bois qui volaient dans le four en cours de cuisson retombaient sur les pièces les plus exposées au foyer, constituant ainsi un revêtement naturel. Fort appréciés et plus tard recréés volontairement, ces « accidents » coulent le long des flancs des jarres formant un flot coloré, bleu, vert ou jaunâtre. Celui-ci se fraie un chemin jusqu’à la base et se fige en des perles de verre. Les larges superpositions de couverte d’une jarre provenant des fours d’Echizen témoignent de la prédilection des Japonais pour ces décors.
A partir du XVe siècle, les amateurs de la cérémonie du thé donnent leurs lettres de noblesse à ces récipients sobres et frustes, en faisant un usage détourné, et en passent commande d’ustensiles à thé aux fours de Shigaraki, et plus tard à ceux d’Iga : deux centres de production séparés l’un de l’autre par une montagne d’où sont extraites des argiles différentes. L’argile blanchâtre de Shigaraki, contenant feldspath et silice, prend à la cuisson une teinte rouge orangé ponctuée d’ « éclats de pierre » (ishihazé), dus au feldspath. Celle d’Iga, moins chargée en feldspath, mais riche en fer se teinte en brun rougeâtre. Les cendres de bois de cuisson se mêlent au feldspath de l’argile pour créer de larges coulures de couverte naturelle verte ruisselant sur la surface irrégulière. Utilisant ces effets, le pot dit « à gâteaux de riz » (sembei), très populaire à la fin du XVIIe et au XVIIIe siècles, adapte à une échelle plus grande la forme carénée des récipients à poudre de thé (cha-iré) de la cérémonie du thé.
Ces grès « biscuités » (yakishimé), c’est-à-dire exempts de couverte volontaire, de Shigaraki, inspirèrent nombre de potiers, tel Ogawa Tokusai (1785-1865) au XIXe siècle . De nos jours encore certains perpétuent cette tradition, faisant vibrer l’argile des diverses couleurs des couvertes naturelles.”