Pour l’exposition roubaisienne, conçue en partenariat avec la galerie Almine Rech, l’artiste présente, outre deux œuvres emblématiques de sa carrière - C’est dans ma nature (2001) et De Vleermuis (2014-2019), un bas-relief métamorphique et une sculpture monumentale aux allures de chauve- souris, - un ensemble céramique inédit de dix-sept bêtes (Beasts). Un sanglier englué dans une fange sanguine, une mouche endormie à la manière d’un transi ou encore un pélican pétrifié par une insondable tristesse : ici le bestiaire n’est jamais naturaliste mais symbolique, chaque animal faisant signe vers l’impalpable, entre désolation et abandon, pulsion et mélancolie. Pas de nature morte ici : tout est vivant, tout pulse et tout tremble. Ces bêtes faussement naïves viennent dire l’épaisseur politique d’un monde fait de conflits, de luttes et de résignations, mais aussi de joies, de consolations et d’espoirs. Car si l’homme est un animal politique, le monde est le théâtre splendide de la cruauté...
L'exposition présentée à La Piscine de Roubaix du 12 mars au 29 mai 2022 était divisée en trois chapitres, chacun explorant l'animalité sous trois angles différents - politique, humaniste et monumental.
Dans la vaste salle présentant l’histoire culturelle et sociale de Roubaix est présentée C’est dans ma nature (2001), une œuvre méconnue constituée de dix panneaux accueillant, sur un support de briquettes factices, des bas-reliefs en céramique, réalisés par l’artiste vingt ans plus tôt, d’après des dialogues avec les collégiens d’Aulnay-sous-Bois. Ces panneaux mobiles rappellent que l’art peut faire bouger les choses dans le cœur de la cité. Des bronzes récents, un bas-relief d’Honoré Daumier et des agrandissements photographiques élaborent un dialogue souverain avec des pièces historiques de La Piscine, manière de rappeler la dimension éminemment politique de l’œuvre de Johan Creten.
Dans la salle immaculée d’exposition, sous son haut plafond cathédral, sont exposées dix-sept sculptures virtuoses de Johan Creten, conçues trois années durant dans l’atelier Struktuur 68, à La Haye. Ces grandes céramiques émaillées, nées de cuissons multiples et de glaçures singulières, dessinent un bestiaire silencieux, peuplé de chiens, de mouche, de pélican, d’oiseaux ou encore d’araignée. Antinaturaliste, sondant la proximité entre l’homme et l’animal, ce bestiaire inédit a fait l'objet d'une autre exposition plus tard à Bruxelles, à la galerie Almine Rech. Évoquant les fables et la mythologie collective, ces œuvres sont chargées d’une puissante dimension humaniste, volontiers existentialiste.
“À La Haye, dans une thébaïde pareille à un secret, parmi la poussière, la glaise et les fours, à quelques pas de la maison de Spinoza penseur de feu de la condition animale, Johan Creten a travaillé des mois durant à concevoir des sculptures qui, oiseau, chien ou sauterelle, ont pris des bêtes la conformation et le visage. Inédites, ces dix-sept œuvres trouvent à La Piscine, non loin d’un bassin aquatique et dans la vastitude aérienne des salles, leur espace naturel. Pas de naturalisme, ici. Pas d’illusionnisme. Ces zoomorphies, faussement naïves, souvent brutes, voire brutales, nous parlent de nous. Nous, humains engoncés dans notre condition humaine, nous, animaux civilisés errant dans les rues et les cam- pagnes, animés de pulsions, de violences et de désirs, nous, seuls et nombreux, rappelés à l’ordre par un pangolin ou une chauve-sou- ris, pris dans la toile d’araignée du monde, moutons de Panurge ou loups solitaires, nous, pleins de cette enfance où nous jouions à chat et à l’épervier, où nous regardions sur de grands écrans des biches mourir et sur de petits des bestioles s’escrimer avec la complexité du monde.
Le silence de ces bêtes est donc un théâtre politique, un théâtre qu’il fallait accompagner des gestes précédents à une gigantesque chauve-souris comme un présage, ou comme un deus ex machina, des bas-reliefs mettant en scène des fantasmagories animales sur des surfaces de briques, éminemment sociales.”
Devant l’entrée du musée, et en contact direct avec le public, trône De Vleermuis (2014-2019). Cet exemple majeur des sculptures monumentales de l’artiste fut exposé précédemment sur un promontoire rocheux, dans le parc de sculptures de Pilane, en Suède, face au Petit Palais, à Paris lors de la Fiac « Hors les Murs » et dans le jardin de la Villa Médicis, à Rome. Prémonitoire, car réalisée avant une pandémie mondiale qui ankylosa le monde, cette chauve-souris est imaginée pour être chevauchée : les visiteurs peuvent se hisser entre ses ailes déployées, car l’art est une élévation et une interaction...